Il y a huit cents ans naquit Murdoc'h dit Oeil-Froid. Né d'une famille modeste il grandit sans éducation particulière jusqu’à ses quinze ans. A cet âge il décida de devenir barde, les sonorités de certains mots comme de certains instruments l'ayant toujours charmé. Il rassembla donc ses économies et demanda à un barde professionnel de lui enseigner le métier. Cinq ans plus tard, Murdoc'h parcourait les routes par lui-même et gagnait sa vie en tant que colporteur de chants et de danses. Il anima plus d'une fête de village et conquit plus d'une belle notamment grâce aux accords subtils qu'il tirait de son instrument.
Mais son cœur était noir et il usait mal de ses dons musicaux, abusant et trompant. Il volait aussi parfois. Il fit le mal tant et si bien qu'un jour sa tête fut mise a prix dans le duché de l'Exil. Il fila comme le vent et nul chasseur de prime ne put jamais l'attraper. Seulement, alors qu'il revenait rendre visite à sa famille qui vivait dans le duché du Marteau, il découvrit la maisonnée vide. Il alla questionner les voisins, qui frémirent en le reconnaissant. Ils lui conseillèrent d'abord de partir, puis lui avouèrent que les gens d'armes étaient venus arrêter sa famille. Le chef du village avait fait publier des tracts concernant leur exécution prochaine.
Le barde sentit ses forces l'abandonner. Le lendemain, il était là parmi la foule à regarder son père, sa mère et son frère sur l'échafaud, la corde au cou. Le sergent du village lisait un parchemin rance qui devait expliquer la raison de tout ceci mais il n'écoutait pas, il fixait son père et serrait le manche de sa dague a s'en faire saigner les mains. Devait-il intervenir ? Sauver les siens ?
'Non, se raisonnait-il. Ce n'est pas ce que père voudrait. Il voudrait que tu t'enfuies et que tu vives. Ce n'est pas ta faute. Tu ne peut rien y faire.'
Mais a l'instant où il se faisait cette réflexion, il vit les larmes dans le regard du vieil homme. Il voulait vivre.
L'instant d'après, il gesticulait au bout de la corde, criant et bavant, comme son fils et sa femme. Murdoc'h bascula alors, et aux prises avec lui-même, il connut le père des cendres.
Je t'attendais.Lorsqu'il s'éveilla un jour plus tard, il découvrit qu'il avait été recueilli par ses voisins. Il se leva avec difficulté et prit conscience d'un fait simple : il avait grand faim. Aussi lorsque la femme-Marie s'il se souvenait bien-entra pour prendre de ses nouvelles, le festin put commencer. Avant qu'il ait compris ce qu'il faisait, il avait massacré ses sauveurs. Il ne s'en préoccupait plus tellement, perturbé par la métamorphose et la Faim. Il était vivant et plus fort que jamais n'était-ce pas tout ce qui comptait ?
Le suivant sur la liste fut le sergent. Murdoc'h avait patienté toute la nuit sur le toit de l'auberge, se fondant parmi les ombres. Lorsque le gros homme était sorti en titubant accompagné de deux compères tout aussi faits, il avait attaqué. Sa gorge il l'avait arrachée de ses mains. Les compères étaient morts vidés de leur sang. Le bruit de la lutte avait attiré des villageois et des cris avaient commencé a retentir. Murdoc'h dut partir précipitamment sous peine d'être mis à mort.
Une seule destination lui était possible en tant que nocturne nouveau-né. Il en avait entendu parler comme tout un chacun mais n'avait jamais osé s'approcher à moins d'une lieue de l'endroit. Serkheim.
Au bout de plusieurs semaines, il parvint à la frontière et se fit capturer par la Garde Noire. Quelques jour plus tard, il fut remis en liberté et devint un citoyen du Royaume de la Nuit. Il vécut de nombreuses expériences mystiques et devint un fervent croyant. La Nuit soudainement lui était tout. Les paroles des Prieurs étaient de miel, et les Fomoires étaient les serviteurs de la Nuit invincible. Lui-même désirait tout faire afin de servir la nuit de son mieux. Au fil de son existence, il combattit dans les rangs de la Garde Noire, tua, brûla, et servit.
Il devint Vicaire, puis Grand Vicaire. Son fanatisme l'avait bien servi et il était pressenti pour devenir une figure importante de l'appareil religieux. Il était puissant, avait de nombreux amis et était craint parmi les Grands Vicaires. L'on riait de lui en racontant qu'il serait capable d'accuser d'hérésie l'un des Prieurs si la Nuit en personne venait l'en prier.
Puis une nuit, il reçut Sa visite.
Il était seul a son balcon, méditant sur son prochain sermon, une coupe de vin entre les doigts, vêtu de la robe noire traditionnelle.
Et Il l'appela. Le vrai Fils de la Nuit. Murdoc'h ressentit son appel jusqu'au plus profond de ses entrailles. Sa coupe de vin se répandit au sol tandis qu'il s'éloignait de toit en toit, irrésistiblement attiré.
Une heure plus tard, à l'orée de la grande forêt qui bordait Akkaron. Le grand vicaire s'approcha du couvert des arbres, empli d'une crainte surnaturelle. Dans les feuillages, une silhouette sombre. Une voix rauque s'éleva.
-Qui es-tu, Nocturne ?
-Un enfant de la Nuit, répondit Murdoc'h la voix nouée par l'émotion. Face à cette silhouette, il se sentait insignifiant, humble, comme à ses premiers temps en tant que Servant.
-Mais la Nuit a été entravée par ceux-la même que tu sers. Comment peux-tu alors prétendre l'honorer !!? tonna la voix, et Murdoc'h craignit pour sa vie. Il comprit que la silhouette parlait des Prieurs et des Fomoires leur étant fidèles. L'incroyable aura de son interlocuteur le submergea, lui pressentit pour devenir un des suprêmes fomoires. Il ferma les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il n'était plus à Serkheim...
Quelques heures plus tard, des Vicaires inquiets approchèrent de la lisière de la forêt. Leur maître avait disparu et des témoins les avaient dirigés vers les bois.
Ils virent Murdoc'h sortir du couvert des arbres et poussèrent un soupir de soulagement. Qu'avait-il bien pu se passer pour que le grand vicaire...fugue ?
-Frères. Les Prieurs ont trahi la Nuit génitrice. L’imposteur règne sur elle et cela est intolérable. Nous devons agir et briser le joug qu'ils font peser sur nos têtes. Qui me suivra ?
Un long silence. Les cinq vicaires n'en croient pas leurs oreilles. Ils savaient que leur maître était quelque peu dérangé, mais au point de tenir ces propos ?...L'un deux dégaina et osa crier tout haut ce que tous pensaient tout bas.
-Trahison !
Murdoc'h sembla doucement secouer la tête. Puis ses ombres les avalèrent. De cette nuit, nul à Serkheim n'a plus jamais croisé la route de Murdoc'h Oeil-Froid.
Mais Crios, au sein du Palais des Nuits, savait ce qui était advenu. Le fanatique avait trouvé un nouveau maître, plus éloquent, plus terrifiant que les Prieurs millénaires.
-Japet.
