I - Ce que le livre a raconté
Parce que notre origine est lié à l’origine du monde
Il me raconta que depuis la nuit des temps, il n’y avait que néant, et il était seul. Il engendra Irmo. Jalousie joua son tour, et les deux se bâtèrent. Le monde se créa grâce à ce combat. Et je fus crée avec.
Je ne suis pas l’un des esprits qui habitent à présent l’univers. Je ne suis pas non plus un être ; tout ce qui se crée n’est pas forcément un vivant. Je suis un objet. Un objet de valeur. Fait de pages blanches luisantes qui perdirent leurs éclats avec les siècles. Fait de couverture au toucher soyeux ; Aux gravures imbibées d’encre et de secret ; A la couleur sombre, puisque les ténèbres du monde m’ont crées.
Et comme à chaque chose son utilité, j’avais la mienne : Ecrire jusqu’aux moindre détails ce qui arrivait. Ecrire, graver, témoigner. Rester neutre surtout. Rendre éternels les événements. Etre l’archive de tout ce qui se passe, de tout ce qui rode sous l’ombre ou sous la lumière. Journal intime –Journal car je note chaque secondes des centaines de lignes et de phrases, et intime parce que mes pages n’ont jamais étés lues.
Ce que j’ai dans mes plis n’est pas un pouvoir. Je ne joue pas de sorts. Je n’interviens pas dans le cours de l’histoire. J’écris l’histoire. Je note chaque nouveau sort découvert et chaque pouvoir. Chaque nouvelle magie, chaque sentiment, toute mort est ici inscrite et toute vie. Je n’ai pas de pouvoir, mais j’ai tout le savoir qu’il faut…
Et un jour j’ai su qu’une tarte aux pommes préparée par une mère à ses enfants était délicieuse, j’eu envie d’y gouter. Un autre jour, lorsque j’ai noté que la froideur de la glace était terrifiante, j’eu envie d’y toucher. Lorsque j’ai noté qu’une femme était amoureuse au point de la folie, j’eu envie de sentir. Et avoir envie est justement mon pêché !
Sur les plis de mes pages je cherchais alors comment donner vie. Dans les ruines du passé, dans tous les recoins du monde… j’ai cherché ! ‘À perdre le souffle’ aurait-dit un humain. A lire mes lignes, jusqu’aux détails, lettre par lettre. Tout y était, mais je ne pouvais pas agir et sortir de l’infime sort auquel j’étais conçu.
Ce, jusqu’à ce que la nécromancie soit découverte, Louange aux deux créateurs. Si l’on pouvait déranger les morts et les ramener à la vie, pouvait-on me donner une autre forme de vie ? J’attendais alors, et le temps était mon allié, que les gens découvrent ce qui pourrait me libérer. Mais qu’ils soient maudits ! Ceux qui on su lire mes intentions, ceux qui m’ont caché dans un coffret au bois et au fer infranchissable. Ma pensée fut arrêtée, mes lignes furent coupées, je ne pouvais plus témoigner.
Maudits soient les elfes !
Je fus laissé pour mort… et je ne saurai dire pour combien d’années.
Dans la noirceur, tout un monde fut crée. Et dans la noirceur, j’ai même découvert comment jouer quelques petits sorts ! Mais mon principal tourment fut de trouver de l’encre, de l’encre d’abord ! De l’encre forte et délicieuse, une ancre qui puisse jeter les plus puissants sorts, une ancre qui puisse abattre les plus grandes malédictions, une seule : Le sang.
Et j’avais le temps, des nuits et des nuits à planifier. Les elfes avaient conçu une très forte barrière, mais ils ne se rendaient pas compte qu’elle s’affaiblissait petit à petit.
Et il’y’a exactement 24 ans de ce jour, une elfe tomba enceinte.
Et ce fut la naissance.
C’était un jour d’automne, l’elfe perdit son eau. Elle sortit de sa demeure, ne regardant pas une fois derrière elle, elle se rendit à l’étable où un chariot l’attendait. Elle s’installa, puis le cheval accouru vers les bois. Elle voulait se rendre plus loin mais les douleurs l’arrêtèrent à la forêt Liore. C’est sous le plus grand arbre du bois qu’elle donna naissance à son enfant.
Et dés l’aube, la mère reprit son chemin vers la direction qu’elle voulait. La terre des hommes.
Les arrêts furent comptés, mais les jours nombreux. Elle ne s’arrêtait que lorsque son enfant pleurait de faim pour la nourrir. Donc plus tôt que prévu, elle se retrouva au village Merak. Là, aux portes du village, alors que les lumières des maisons s’éteignaient ; Elle installa son enfant, prit le sac qu’elle avait si bien gardé depuis les terres des elfes. Et devinez ce qu’elle en sorti ? Certes, j’étais impuissant, depuis les milliers d’années qu’ils m’avaient enfermé ; Mais j’ai appris plus d’un tour. Une mère qui abandonne son enfant ? J’en ai déjà vu ! Mais une elfe, c’était une première ! Et je l’avais causé ! Le premier sort que j’eu jeté, le seul. Contrôler l’esprit d’une maman, faire qu’elle abandonner son enfant en me l’offrant. Le sort était faible, je n’attendais pas qu’il fonctionne ! Mais l’elfe rancunière, à cause d’une histoire d’amour ne voulait pas de l’enfant ! Elle n’avait pas toute la pureté de son peuple. Et c’est de là que je suis entré.
Elle me déposa à terre, puis prit son enfant. Blessant la cheville de la gamine, elle laissa le sang couler jusqu’à mes pages. Là, j’avais compris que ma vie dépendait à présent de la vie de l’enfant ; Mais que la liberté était enfin mienne ! J’ai trouvé ne soit-ce que le moyen de jeter les sorts que je désirais et mon deuxième sort fut depuis lors mon dernier. J’ai caché mon existence et celle de l’enfant. Quoi que les elfes utilisent pour nous retrouver, on était à jamais introuvables, et mon sort fut à jamais lié à celui de l’elfe.
Ce fut la naissance mais aussi l’abandon.
***
II- Ce qui arriva après
Une vie, c'est une encre qui coule et un souffle qui s’éternise
***
‘- Eren, réveille-toi !
Un jeun garçon ouvrit les rideaux, la lumière du jour tapa droit sur le visage endormi de l’elfe ; Elle agit sur le coup, et cacha sa frimousse avec ses draps. C’était une chambre très modeste pour ne pas dire pauvre, un lit, aux couvertures trouées et au bois usé. Une petite table, et puis rien. Sans parler des murs hideusement sals. L’enfant s’approcha du lit, puis tira les draps. Et la fille se redressa aussitôt ; Sinon, le drap allait être déchiré.
Sous la lumière du soleil matinal, son visage brillait à merveille. Ses grands yeux bleus entrouverts fixaient le garçon avec une légère rancune. Elle quitta le lit en boudant et alla se changer. A son retour, son expression rancunière n’avait pas disparu. Elle portait une tenue pareille à celle du gamin. Un garçon aurait-on pensé si sa beauté aveuglante ne nous détrempait pas et si les rondeurs de son corps féminins n’étaient pas si apparents. Le jeun homme, la dépassant en hauteur de quelques centimètres s’approcha puis la renversa sur le sol froids, un bruit énorme se fit entendre, ils étaient au deuxième étage de la demeure. Une voix plus mature les gronda d’en bas.
‘- Ce n’est pas une manière de regarder ton seul et unique ami ! Eren !
Boudant toujours, elle se releva, dépoussiéra son pantalon puis sorti le laissant souriant d’amusement.
Eren, une fois abandonnée fut prise par une famille humaine. Le père était un homme âgé et détenait un cabaret qui lui ramenait beaucoup de pognon, mais vu sa mauvaise addiction aux jeux d’argent, il perdrait tout ce qu’il gagnait. Il avait même promis et signé qu’il allait donner le cabaret à un prétendant, mais après sa mort, ceci dit. La mère, quant à elle était une excellente cuisinière. Ils avaient un fils unique, et Eren l’adopée. Les deux enfants, Eren et Barn aidaient dans tout le travail. Ils nettoyaient, faisaient les achats… Parfois, ils aidaient même pour les spectacles présentés. Ils avaient quinze et dix-sept ans, et étaient les meilleurs amis qu’ils pouvaient être et bien plus.
Ce jour là s’annonçait comme tous les autres, mais il n’en était pas un ! En effet, le père de famille préparait une annonce importante, et il ne tarda pas à la partager avec les membres de sa famille, des qu’ils furent rassemblés autour du feu, le soir.
‘- On perd beaucoup trop à payer les acteurs. Mais ça ne sera plus le cas ! Eren, chère fille, tu apprendras à danser et à chanter ; et d’ici quelques mois, du montera sur scène.
Dés que cette réplique fut prononcée, aucun ne parla. Eren, bien sûr, voyait ces paroles comme des paroles divines. C’est après tout son père adoptif qui l’avait trouvé et l’avait ramené ; Sans lui, elle aurait été nourriture des loups des bois. Elle s’appliqua à la lettre. Elle apprit à danser, mieux que toutes les danseuses de la ville, et elle devait ça à sa lignée. Son corps et ses pas étaient légers, sa ligne était parfaite, et sa voix : l’envoûtement total que cause la voix de ces êtres nommés elfes.
C’est fou combien lorsqu’elle jeta le pantalon pour porter la robe, elle devint princesse. Ses cheveux noirs luisants, ses yeux bleus à la profondeur même des océans, sa peau blanche et délicate ; tout était parfait. Sans doute, serait-ce normal, elle n’était pas humaine. Elle faisait partie de ces êtres supérieurs dont juste la présence impose et implore respect. Ce qui ne tourne pas rond, ici, c’est que monter sur scène pour séduire et amuser des clients… ce n’est pas une chose qu’un elfe ferait ; Pas de cette manière.
Mais elle était douée, dés qu’elle monta sur scène, on l’acclamait. On était séduit d’abord par son apparence, après par son mouvement. Sa voix empoisonnante résonnait, même après qu’elle eut fini. Le père gagnait plus, s’enrichissait plus, et perdait plus.
Les choses continuèrent ainsi pendant deux ans. Elle embrassa ses dix-sept ans sur scène. On fêta son anniversaire, et le lendemain, on enterra son père.
La famille le pleura pendant sa mort, à son enterrement, puis après, on n’eut pas assez de temps pour pleurer. Il avait donné beaucoup de promesses, et il fallait que Barn les tiennent ! La plus grave fut celle de donner le cabaret ! Un homme hideux les visita ce soir même leur demandant de quitter. Barn lui parla pendant trente-six minutes de suivi, il refusait de lâcher le cabaret. Mais s’ils ne donnaient pas au prétendant ce qui lui revenait de droit, il allait les mettre dehors, de force même s’il le faut. En sortant, il rencontra la mère qui tenait difficilement debout, Eren la soutenait. Alors que Barn sortait tout juste de la chambre où ils avaient eu leur discussion, son invité se retourna lui chuchoter quelques mots, puis il sorti, laissant le jeune homme devenu l’homme de la famille en tourment.
Le soir du lendemain, une décision était prise. L’homme arriva, rencontra Barn devant la porte du cabaret. Pas un mot de partagé. D’autres hommes vinrent fouiller la maison, et à la cuisine, ils trouvèrent Eren. La prenant à deux, à contre gré, elle leur cria de la lâcher ; Mais qui est-ce qui lui obéirait. Elle se débâtait, mais depuis quand est-ce qu’une danseuse faisait le poids devant deux hommes bien forts et musclés. La trainant jusqu’à devant Barn, elle le regardait de ses yeux bleus envoutant, elle lui implorait d’agir, elle pleurait de larmes fluides, de diamants brillants… Leur regards fusionnaient, ils se regardaient, se parlaient sans un mot, discutaient dans le silence parfait. Et il ne la quitta des yeux que lorsqu’elle quitta les lieux.
***
Trois jours entiers étaient passés. Et à l’aube du quatrième, Barn sortit en courant du cabaret. Il courut plusieurs ruelles et plusieurs allées se rendant à la demeure où était prise Eren. Haletant d’épuisement, il ne s’arrêta pas, enfonçant la porte d’entrée, il se mit à crier comme un fou le prénom de sa sœur adoptive, le prénom de son amoureuse, le prénom de la femme qu’il avait trahi. Elle ne se réveillait pas, d’ailleurs, il ne l’a jamais réveillée en l’appelant. Ouvrant la porte d’une chambre bien isolée, il la trouva là, gisante, inerte, nue, délaissée. S’arrêtant, il avala sa salive puis n’osa point s’approcher.
Lorsqu’on est seul, on pense à tout lâcher, à tout abandonner… lorsqu’on est seul, on abandonne jusqu’aux espérances qui nous ont gardé en vie. On devient une ombre, une carapace vide, une armure qui ne sert plus à rien. Une fois qu’on est brisé de l’intérieur, on baisse la tête, on renonce à l’espoir, on se ment disant qu’on n’a plus besoin de ces autres. Mais une fois que l’allure d’une bougie approche, affamés de délivrance, on accourt s’en emparer. Affamés, on oublie nos désespoirs et on cède à cette lumière, on espère.
Elle voulait croire qu’ils l’avaient amené contre le gré de Barn, elle voulait tellement y croire. Elle allait accepter n’importe quel mensonge à la vérité ! Elle ouvrit ses yeux. Et son regard jadis clair et vivant ne l’était plus. Elle attendait, et combien l’attente se faisait lourde et insupportable. Allait-il s’approcher ? Était-il venu la sauver ? La libérer ? Qu’est ce qu’il attendait ? « Ah… je ne suis pas présentable… c’est ça ! »
Une larme d’une délicatesse infime coula le long de sa joue.
Le propriétaire rentra, souriant largement. ‘J’en ai fait meilleur usage !’ Ricana-t-il. ‘Elle ne veut pas croire que tu me l’as donnée ! Elle est plutôt têtue’ Ajouta-t-il. Eren écarquilla légèrement les yeux, elle ne se redressa pas, elle n’en avait pas l’énergie. Tous les draps qu’il lui avait tiré chaque matinée depuis qu’elle s’en rappelle, elle aurait aimé que là, il la cache d’un drap, tempi s’il est tout usé, tempi !
‘- Tu m’as dis… que tu prendrais soin d’elle ! Prononça-t-il, enragé.
Mais à quoi servirait sa rage désormais ? Le petit cœur de l’elfe, à cette réplique fut brisé !
‘- Le cabaret est désormais le tien, fais-en ce que tu veux ! Car comme tu vois, je fais ce que je veux de ce qui m’appartient !
Ou se trouverait la paix ? Lorsque l’empire qui calmait nos peines et qui nous faisait espérer se brise en mille morceau. D’abord, abandonnée, sous l’ombre d’un arbre. Après, refusée et critiquée puisqu’elle est l’enfant non désirée. Plus tard, prostituée comme danseuse pour le plaisir de qui vient. Et enfin, trahie, jetée, vendue. Déchet !
Elle fut violée de tout.
Barn quitta sans regarder derrière lui.
L’homme ferma la porte, s’approcha de son jouet et essuya sa larme.
‘- Je t’avais dis que je ne t’avais pas kidnappé !
***
La nuit même, ce n’était pas le courage ou la force qui la poussaient à bouger. Ce fut une envie de partir, de s’éloigner, de trouver une paix quelconque ailleurs. Elle se faufila des mains de son propriétaire. S’habilla de sa robe rouge et d’une cape noire appartenant à quelqu’un de la maison. Elle quitta son enfer se dirigeant vers le cabaret.
Ouvrant discrètement la porte, la gorge nouée et les larmes sur le bout des yeux, elle remonta vers sa chambre. Sous son oreiller, son livre aux pages vides. Elle le prit, puis descendit. Avec le plus de discrétion possible, elle quitta cet endroit qui fut pour dix-sept ans sa demeure et sa maison. S’éloignant de quelques mètres, une flèche venue de la fenêtre de sa chambre la perça de l’arrière jusqu’au devant, du coté gauche de l’abdomen, manquant les os de peu.
Et lorsque l’encre de la vie coula de son corps,
Le livre ancestral joua son troisième sort, Tombant à terre, ouvert, tout le sang versé fut absorbé par les pages du livre. Une inscription en rouge sang apparue sur les pages vierges du livre. Un cercle en bleu luisant les entoura, et l’endroit où ils étaient n’était plus le même. Le livre les avaient transportés au fond de la forêt, devant une cabane sensée être inhabitée.
Un sort,
Une naissance,
Un abandon,
Une adoption,
Une prostitution,
Une trahison,
Un viol,
Une blessure,
Un sort,
Puis une rencontre ;
Et depuis, cinq ans se sont écroulés.
***