Les plus anciens souvenirs d'Inari sont ancrés dans sa mémoire comme une étoile qui tombe sur la terre. Ils ont pulvérisé ce qu'il y avait avant et après avec une violence inouï. Elle se souvient d'une nuit, alors qu'elle et ses parents voyageaient avec une caravane de marchands. L'urgence était sur tout les visages, les cochers fouettaient leurs animaux avec frénésie et les injonctions à accélérer étaient les seules paroles mais répétées inlassablement, comme s'il s’agissait d'incantations. Il s'est passé de terribles choses cette nuit là. Beaucoup de sang a coulé, lui semble t-il. On l'a forcé à ne pas regarder mais le son est caractéristique. Avait-elle seulement 6 ans ?
Pendant qu'on massacrait les gens autour d'elles, la mère détacha un des chevaux, grimpa dessus et hissa sa fille auprès d'elle avant de filer comme le vent.
Par miracle, elle et sa mère réussirent à échapper aux terres maudites de l'Orath. Mais à quel prix ? L'exil, le vol, la fuite, le sang. Y'avait-il un dieu à remercier pour ça ?
Les années qui suivirent ne furent qu'une succession d'errances à durée variable. Le temps de réunir de quoi poursuivre leur voyage, la mère acceptait tout ce qu'on pouvait lui proposer comme travail ou argent, tandis que sa fille trainait dans les rues et s'initiait déjà à prendre tout ce qui passerait inaperçu. A cette époque, la rue enseigna à Inari autant que sa mère quand elles étaient seules sur les chemins. " Tous ne croient pas aux démons qui foulent la terre, mais ce sont eux que nous avons fuit. Ils existent et ils tuent aussi bien que n'importe quel homme. Non, mieux."
" Ouvre tes oreilles et écoute les étrangers, ce sont eux qui apportent les nouvelles de la guerre. Il n'y a que comme ça qu'on pourra éviter cette folie. Il nous faut être prudentes. "
Sa sagesse nourrirent son esprit tandis que la rue remplissait son estomac et son âme. Inari apprit alors une leçon primordiale: sa vie valait trop chère pour que quiconque la prenne, qu'il fusse un mortel, dieu ou elle-même.
Cependant, à mesure qu'elles avançaient, sa mère se flétrissait sous les efforts conjugués du temps et du travail. Si bien qu'un jour, à la sortie d'un énième village poussiéreux, Inari fut seule.
Deux femmes voyageant seules était risqué. Une femme seule sur la route était certaine de trouver la mort ou pire, par ces temps. Inari décida alors de se déguiser en homme. Une épée, même de la plus basse facture, était nettement hors de ses moyens. Si bien qu'elle opta pour la dague, plus discrète et aussi mortelle.
Continuant son chemin, elle devint une voleuse talentueuse, aussi agile que dextre.
Du moins le pensait-elle. Elle allait sur ses dix-huit ans lorsqu'elle se fit prendre la main dans la poche d'un mercenaire qui se vantait d'avoir touché le gros lot dans le désert. Ne lui laissant aucun échappatoire, il avait voulu lui trancher la main ou "quoi ce soit qu'elle laisserait couper si elle n'arrêtait pas de bouger". Était alors entré un représentant de l'ordre douteux nommé Brend qui mit fin au règlement de compte, mais uniquement pour envoyer Inari en prison et encore le temps qu'elle soit pendue et jugée. Dans cette ordre. La guerre ne laissait plus de place pour les magistratures inutiles.
On traina alors Inari dans une étroite geôle puante et humide où croupissait déjà un homme à l'air assommé. Elle pensait passer là la nuit la plus horrible de son existence.
Jusqu'à ce que vienne le jour suivant. Brend vint alors lui annoncer que son exécution était prévue dans quelques heures. "Mais avec ton jolie minois, dois bien y'avoir moyen de s'arranger, hein ?" avait-il dit de la façon la plus vulgaire et plus répugnante possible.
Alors qu'il la ramenait encore menottée chez lui, Brend lui confiait avec une satisfaction indissimulable les "délices" qu'il comptait lui faire subir et à force de sous-entendu, Inari comprit qu'elle n’était pas la première. Pire, c'était de cette façon que Brend compensait l'absence de bordel dans la ville. Inari n'offrit aucune parole ni aucune résistance jusqu'à ce qu'il faille bien lui retirer ses fers. Un cobra n'aurait pas été plus vif ni un tigre plus sauvage. A l'instant où la clé tournait dans le verrou, à la seconde où elle fut libérée, elle bondit sur Brend et lui arracha l'oreille à coup de dents. Elle en profita pour l’émasculer d'un coup de genou et récupérer quelques objets chez Brend, elle avait bien quelques secondes devant elle.
Elle n’était plus à un vol de cheval près quand elle s'enfuit vers le nord tandis qu'elle tirait des leçons de cette histoire.
Elle ne devait plus jamais se faire prendre. Elle pouvait tirer parti de son corps pour aller de l'avant. Mais jamais rien d'aussi... A la pensée de se qu'il aurait pu advenir, elle voulut vomir le contenu de son estomac mais parvint à se retenir. Qui sait quand elle prendrait son prochain repas ?
Finalement, elle arriva dans la ville de Runcine qui avait l'air d'avoir le vent en poupe grâce à sa proximité relative avec l'entrée de Quorra. Les rues étaient animées, la foule nombreuse, les tavernes multiples, les échoppes immenses, les marchands riches... Avait-elle déniché le paradis ?
Pour s'en assurer, elle accepta un emploi de serveuse dans une taverne moyenne où circulaient un peu toutes les classes à l'exception des plus riches. Pendant des mois, elle recueillait des histoires de marchands plein aux as faisant des transactions juteuses avec les nomades du désert, riant des guerres qui appauvrissaient les autres, moins malins qu'eux... En même temps, sa réputation d'honnête travailleuse se forgeait, si bien qu'elle réussit à s'installer à crédit dans une minuscule maison neuve. Par la suite, elle ne manqua jamais une mensualité, afin que personne ne soupçonne d'où lui venait ses fonds.
Un jour, alors qu'elle était de service tard le soir, un vieil homme écarquilla les yeux en la voyant. La connaissait il ? Piquée par ce mystère, elle s'empressa d'aller le servir et quand elle se pencha pour sur lui pour lui demander ce qu'il désirait, il tomba de sa chaise à la renverse, pointant un index accusateur sur Inari: " Mes yeux ne me jouent donc pas des tours ! Ces marques ! Sang du démon ! Bâtarde pervertie ! Vous autres, ne voyez vous pas ? la Bête Incestueuse ! Qu'on la brule, par la carcasse impie de Cero !". Il ne cessa de vociférer sur le même ton alors que le tavernier et trois autres hommes le jetait dehors. Personne ne comprenait ce qu'il disait de toute façon, ce devait juste être un fou.
Peut-être, mais ses divagations ébranlèrent Inari jusqu'au plus profond d'elle même. Cela pouvait-il avoir du sens ? Elle avait toujours mis ses marques sur le compte de taches de naissance bizarres. Ce n’était vilain en soi, cela faisait même partie de son charme. Un rapport avec les démons ? Impossible. Sa mère ne lui en avait pas dit un mot, jamais. Même pas un regard coupable. Depuis ce jour, elle n'y pense plus. Ces questions rodant dans les coins les plus reculés de son esprit.
Aujourd'hui, Inari est une voleuse hors-pair. Elle a tenu ses promesses de survivre à tout prix et de ne jamais se faire prendre grâce à un entrainement constant et une qualité de vie correcte qui exige la plus grande partie de ses butins. Elle a sa petite routine, ses contacts, ses planques dans la ville de Runcine. Mais cela n'est il pas risqué de rester au même endroit pendant autant de temps ? Et la fortune ne lui sourirait elle pas ailleurs ?