C'était embêtant. Même très agaçant. Savoir que quelque chose que vous convoité se trouve là, à porté de main, et qu'il n'y a qu'à attendre le bon moment pour la récupérer... Et soudain cette chose disparaît au loin... C'est une sensation d'autant plus irritante quand on est soi-même le responsable de cette distance...
J'avais découvert deux des cinq épées noires d'Arkenor, séparées depuis la nuit des temps. L'une était en ma possession et l'autre, je l'avais laisser entre les mains du vampire qui l'avait trouvée. Lao Yrar. Le Sombrelame. Et qu'ai-je gagné avec cette acte de gentillesse? Une désertion. L'épée avait quitté Serkheim pour des contrées inconnues et tout portait à croire qu'on ne reverrait pas le Sombrelame de sitôt...
Lorsque j'appris cette nouvelle à travers les missives qui remontèrent des espions disséminés dans tout le royaume, je ne laissais filtrer aucune émotion. J'aurais pu aisément céder à la fureur comme ne cessa de me le suggérer ma folie. Mais je savais que traquer et le tuer le déserteur sans qu'aucun ordre ne soit encore donné pourrais éveiller des soupçons, et c'était bien la dernière chose que je voulais: voir d'autre personne s'intéresser de trop près à ces lames noires et leur passé. Je n'avais donc qu'un seul choix: laisser couler, attendre le moment opportun.
Il arriva peu de temps après. Les informations que rapportaient les espions en dehors de Serkheim étaient clairs. Lao Yrar avait été vu dans les murs de la gigantesque cité de Rockford et qui plus est en compagnie de la fille du chef de la maison des Brigart.
"On ne perd rien à essayer de lui poser des questions..."
"Une visite à Rockford s'impose."
Gabryel, mon frère, me jeta un de ses sempiternels regards lassés, comme à chaque fois qu'il me voyait prendre quelque chose avec trop enthousiasme. Il soupira un court instant avant de me répondre.
"Et sous quelle motif te déplacerais-tu? Je te rappelle que tu es un fomoire,sortir de Serkheim sans raison soulève toujours une foule de question et une tonne de paperasse à remplir à ton retour."
Mon frère marquait un point. Je baissai la tête, tel un enfant pris sur le fait. Il était assez rare que je franchissent les frontière du royaume. Autant mes fonctions de fomoires, que de dirigeant de d'Ezoth Dür me restreignaient dans mes déplacements.
"Partir discrètement est inenvisageable... Rien ne reste secret bien longtemps à Serkheim..."
"Etonnant d'ailleurs, quand on sait que Serkheim garde jalousement ses secr..."
Je marquai un arrêt dans le fil de mes pensées, une idée surgissant dans mon esprit. Il était tout à fait possible d'user de cet argument. Un sourire parcourait mon visage et qui, pour les personnes qui me connaissaient, n'augurait rien de bon.
"Fais seller les chevaux, nous partons pour Rockford, aussitôt que nous serons prêt."
Mon frère resta interdit.
"Et sous quelle motif?" répéta-t-il.
"Nous allons nous assurer que le déserteur n'a divulguer aucun secret à sa nouvelle amie."
Le voyage dura quelque jours et nous finîmes par attendre l'enceinte de la cité de Rockford. On comprenait pourquoi c'était la capitale du Nedora. La cité était encore plus grande qu'Akkaron, capitale de Serkheim et pourtant, malgré presque un millénaire à s'y promener de temps à autre, je continuais à m'y perdre régulièrement, même si cela est en général dû à mon manque d'attention.
Quoiqu'il en soit, retrouver la jeune femme dans cette imbroglio de ruelles et avenues ne me semblait pas une mince affaire. Gabryel me fit lui aussi part de ses doutes ainsi que de son envie de cesser de se promener en plein jour. C'était à la fois risible et compréhensible, malgré les talismans qui nous protégeaient de la lumière du soleil, nous n'en éprouvions pour autant une certaine répulsion à voyager en plein jour surtout lorsque l'astre était à son zénith.
"Il serait plus aisé de la faire venir à nous que de tenter de la retrouver par nous-même."
"Alors répandons une rumeur... Peut-être"
Dans les minutes qui suivirent, je dépensai quelques pièces pour payer des individus qui avaient pour rôle de colporter l'information suivante: un albinos nommé Jëbryel Svorda cherchait à entrer en contact avec la jeune Adana Brigart et lui donnait rendez-vous dans le parc de la ville. Lui faire parvenir le message et laisser son éventuelle curiosité faire le reste, telle était mon plan. Simple et efficace.
Dès que ce fut fait, nous prîmes, mon frère et moi, la direction dudit parc sans se presser. Nous serions sûrement obligé d'attendre sur place quelques heures, mais notre condition de vampire facilitait ce fait.
"C'est risqué. Elle pourrais prendre la fuite, en se réalisant ce que nous sommes. "
"Ne t'inquiète pas... Si elle vient, elle sera peut-être tentée de filer, le tout c'est de l'en empêcher..."
"Et si elle ne vient tous simplement pas?"
Je ne répondis pas tout de suite. Cette possibilité existait, mais je préférais ne pas la considérer pour le moment. Mon silence finit par lui donner une réponse car il cessa d'attendre que je parle. Il s'éloigna de moi et se posta sous un arbre, à l'ombre qu'il projettait. Je l'imitai...
"Elle se montrera, c'est sûr..."
