Un parchemin en peau de bête plaqué sur un panneau au détour d'une auberge, étrangement débordée en cette saison favorable aux expéditions éprouvantes. Des rumeurs portées par des lèvres tremblantes, fichées sur des visages emplis d'hésitations et d'horreurs, dont la fantasmagorie donnait tout de même du relief aux vérités derrières l'objectif du contrat ... Telles étaient les chemins alambiqués qui menèrent cette silhouette sur le sentier d'un fameux territoire exploité malgré sa réputation sinistre. Le besoin, surement. Le pas de la forme fantomatique sous la lueur du joyau argenté perché dans le ciel s'avérait assez lent, même imposé par le bâton de marche de fortune logé dans sa main. Seul, dessiné par une voile au raffinement propre à la race elfique, nul ne semblait apte à se mettre sur la route, pas même un cœur charitable soucieux du danger pour l'épargner d'un sort tragique ; En réalité, plus aucune âme ne s'aventurait à la lisière de cette mystérieuse forêt, ce depuis plusieurs jours déjà. Ce devait aussi être à l'origine de l'affluence à l'intérieur du village de Merak, habituellement calme en ces périodes ...

Bercé par le rythme régulier du choque du bois contre le sol, l'étranger ne faiblit pas jusqu'à atteindre une frontière naturelle, marquée d'une verdure changeant subitement de teintes, plus fatiguée que réellement vivante ... Des arbres perturbés, délaissés à une croissance chaotique en de fines branches plus hideuses les unes que les autres, accompagné d'un feuillage exécrable. L'ambiance ne prêtait guère à la sérénité, cependant, ce ne fut pas là la cause de son immobilisation momentanée. Fixe, concentrée sur le paysage devant, le voyageur solitaire ressentit sur le coup un souffle peu accueillant, assez familière. Non, pas la force du vent. Le tissu de sa cape ne bougeait absolument pas. L'air paraissait même lourd. Résidait ici une menace plus inquiétante encore, même pour lui ... Impossible pourtant de repartir en arrière, cela ne faisait surement pas partie de ses attributs. En effet, cet individu s'apparentant à un marchand ou à un aventurier inconscient endossait le rôle de mercenaire chargé d'une quête en ces lieux. L'accoutrement et la démarche ne provenaient que de sa méthode, certes peu usuelle, mais adaptés à la situation. L'on signalait la présence d'un animal féroce au sein de la forêt d'Astora, comme sous l'emprise d'un esprit maléfique de par son comportement de fou furieux. Ses attaques de plus en plus fréquentes et indomptables empêchaient ainsi l'utilisation de ces voies pour le commerce ... D'où le recours à Nimaë Sindar, surnommé l'étranger.

Ce dernier s'apprêtait maintenant à en découdre avec cette affaire, sans chercher à employer de techniques de traques élaborées. La preuve, sa balade à découvert. Cela exigeait aussi que la cible soit sujette à des redondances, de la logique dans ses déplacements et occupations naturelles. Pour une proie complètement désordonnée - selon les descriptions de marchands plus sensés -, mieux valait imiter l'appât et attirer directement la bête ... Le profit ? Le commerce des villages le concernait particulièrement, puisque influençant aussi le marché noir. D'une autre part, le butin attribué s'avérait bien gracieux, normal face au blocage subit ... Et enfin, la possibilité de découvrir des traces sur sa propre quête. Ainsi, la détermination au fond de son regard azuré, l'héritier déchu s'engouffra parmi l'épaisseur de l'obscurité en attendant la rencontre fatidique. Dans la nuit et la désertion des routes, la probabilité d'une attaque se montrait grande, assez pour miser dessus. Tout au long de la route, sa vision étendue ne cessa de parcourir les alentours avec une alternance subtile, même si la capuche le restreignait dans cette tâche. Mais après un certain temps, trois ombres l'obligèrent à couper court et demeurer sur place.

« Arrête-toi là ! Avant de passer, tu vas devoir, comment dire ... Nous payer une taxe, hé hé. Tu tombes vraiment bien, ou mal pour toi, surtout en solitaire ... Cela faisait bien longtemps que l'on ne voyait plus personne passer par ici. On dirait que tes amis commerçants ne t'ont pas prévenu hein ? Ou bien es-tu ignare ! Peu importe ! Les gars, fouillez le et prenez tout ce qui peut servir ou se revendre ! »

Des brigands. Ou plutôt, un simple détachement d'éclaireurs, une mesure adoptée à cause de la rareté des passants depuis un moment. La belle affaire ... Inspirant et expirant d'une exaspération étouffée, Sindar les scrutas tous les trois, avant de porter son attention sur un détail plus intriguant au loin. Les cris sauvages des bêtes installées dans ces bois avaient cessé durant la conversation, avec à la place des tremblements de branches tressaillant sous une fuite supposée ... Ce n'était pas vraiment le moment de discutailler avec ces gus.

« Je crois bien que vous allez avoir plus besoin de moi que de mes affaires ... »

Des paroles lâchées presque en un souffle épais, qui surprirent une fraction de seconde les deux pilleurs qui s'approchaient de sa position ... Sur quoi jaillit des environ un cri terrifiant, loin de ce que l'on appellerait un animal. Cela ressemblait à un hennissement déformé, plus rauque et imposant à la fois. La confrontation s'annonçait difficile. Cependant, gardant une bonne partie de son sang-froid grâce notamment à ses instincts de chasseur, l'enchanteur s'empara subitement du poignet d'un briguant proche pour exécuter une clef de bras autour de son cou. D'une emprise ferme sur l'entièreté de son corps, à la panique de ses frères d'armes, l'elfe recula alors en opposition à la zone d'où venait le cri, puis patienta jusqu'à son apparition imminente ... Au dernier moment, il projeta l'otage vers l'avant, puis le poussa de son pied avant de sauter derrière un arbre. Ce fut à cet instant que la fureur de la créature s'abattit sur eux, fauchant le meneur de la bande. L'on ne parvint même pas à distinguer autre chose qu'une masse sombre aux yeux fulminant d'un rouge terrible. Le mercenaire préféra ne pas encore se dévoiler, observant avec suspens le carnage à venir ...

L'Errant fit quelques pas et tituba légèrement, avant de finalement s'écrouler sur le sol boueux de la forêt d'Astora. Il releva sa tête et regarda sa main droite, écorchée. On l'avait désarmé d'une manière pour la moins brutale. Son ennemi n'y était pas allé de main morte. Mais ce qui tiraillait l'esprit du chevalier, c'était bien qui était cet ennemi contre qui il avait fait face ? Il n'avait pu voir que ses yeux rouges, dans l'obscurité de la forêt.

Des yeux rouges qui l'avaient pétrifié et empêcher de faire le moindre geste. Il avait tenté de prendre la fuite, mais il ne pouvait pas. Comme paralysé, il se laissa charger par la masse sombre aux yeux rouge. Une charge plus que douloureuse, qui l'avait certainement cassé une côte ou deux. Malgré cela, il avait trouvé la force de sa relever, après que la bête lui écrase la main droite, où il tenait son épée.

C'était ainsi que le Chevalier Errant se trouva au fin fond de la forêt d'Astora, avec pour seules armes, un écu et une dague. Autant dire que ses chances de survivre s'il rencontrait à nouveau la créature étaient bien minces...

Il était venu dans l'immense forêt d'Astora afin de trouver quelque chose qui lui avait, des années de cela, été dérobé au sein de la forêt. Pellinor se rendait bien compte que son entreprise était bien inconsciente... Bien trop tard...

Ce fut avec le reste des forces qui lui restaient qu'il se releva, douloureusement. Il avait été humilié par cette créature. Il était donc hors de question de la laisser faire ainsi. Il la trouvera et il la tuera. Dût-il y laisser des plumes...

Il s'avança dans la forêt, boitant légèrement. Plus il avançait, plus les feuilles se faisaient plus nombreuses, et plus l’atmosphère se faisait oppressante. Messire Pellinor devait trouver une arme décente au plus vite. Car on ne savait pas ce qui pouvait nous arriver dans la forêt d'Astora... Enfin, il déboucha sur une clairière, où quelques rayons de soleil passaient. Certainement le seul endroit quelque peu lumineux de la forêt. Cependant, le chevalier restait sur ses gardes, car trois hommes étaient postés à cet -+endroit.

"Toi là !", s'écria l'un des hommes en apercevant le chevalier. "Il se trouve que tu dois avoir... comment dire ça... un droit de passage, pour continuer ! Mais tu dois ne pas être au courant... alors... on peut y remédier, si tu me donnes quelques pièces...

Pellinor cracha par terre, avant de délier sa bourse de sa ceinture. Il la balança alors dans les mains du bandit. S'il n'avait pas qu'une vulgaire dague comme arme, cela ne se serait certainement pas passé comme cela... Le Chevalier Errant fit quelques pas, passa derrière l'homme et en profita pour voler sa masse d'armes, à son insu. Pellinor avait su développer certains de ses... talents cachés, lors de sa mise en exil.

Ce fut ainsi que le chevalier continua sa route, à la recherche de la bête. Lorsqu'il entendit un hurlement effrayant, il sut par où aller...

Il entendait des cris déchirants. Il entendait le son d'une lame qui perforait de la chair. Un combat avait bel et bien commencé dans les environs. L'Errant n'avait que faire des ces branches qui lui fouettaient le visage. Il n'avait que faire également de ces racines qui gênaient ses pieds et qui le menaçait de le faire tomber par terre. Tout ce qui lui importait, c'était le monstre qui l'avait forcé à prendre la fuite.

Mais pourquoi donc cette obsession contre cette bête ? Les chevaliers avaient parfois des agissements pour les moins... étranges. Pourquoi risquer sa vie contre un tel monstre alors qu'il pouvait simplement tracer sa route ? Car l'Errant avait de l'honneur. Et personne ne l'empêchera de vaincre cette bête qui a osé piétiner son honneur.

Pellinor tenait fermement en sa main droite la masse d'armes qu'il avait habilement substituée à l'un des vulgaires bandits. Il n'hésiterait pas à l'utiliser contre le monstre, ni contre un éventuel gêneur. Plus il avançait, plus la progression devenait ardue, entre les innombrables branches et brindilles des arbres d'Astora. Le chevalier manqua de tomber par terre, maudissant cette forêt dans laquelle il était perdu depuis bien longtemps.

Il laissa même derrière lui un morceau de sa cape rouge, embroché à une branche. "Tant pis." songea-t-il. Il tenait à cette cape qui lui avait été offerte lors de son adoubement.

Enfin, il entendit un autre cri. Un cri sauvage qui ne pouvait qu'appartenir à la fameuse bête. Le chevalier leva son bouclier devant lui, préparé à une éventuelle attaque. Il entendit également les vociférations d'un homme.

"NON, TU ES À MOI !"

Avait-il cru entendre. Il fallait bien croire qu'ils étaient deux à la poursuite du monstre...

Pellinor d'Autice distingua très nettement les deux yeux rouges du monstre qui semblait se rapprocher d'un rapace. Le Chevalier Errant se précipita à sa rencontre et donna un lourd coup de bouclier sur la tête du volatile, qui fut sonné durant quelques secondes. Le chevalier se permit de tenter un deuxième coup, mais, cette fois-ci, de sa masse d'armes.

Il manqua le rapace de quelques centimètres. En effet, il s'était reculé au dernier instant. Le chevalier grimaça, avant de se cacher de nouveau derrière son bouclier, qu'il frappait désormais de son arme, comme pour attirer le monstre.

"Allez ! Viens par ici, volaille !", s'écria l'Errant.

Une lance perfora sauvagement l'aile du rapace, avant de se retirer et de piquer finalement le cou du monstre. Une telle maîtrise de la lance ne laissait pas Pellinor de marbre. C'était tellement fluide, tellement rapide... On ne pouvait dire que beaucoup pouvaient manier une lance comme cela. Ainsi, le chevalier se rendit vite compte qu'il ne pouvait être de taille face à cet homme, si affrontement avait lieu. Lui qui était parti pour frapper sur tout ce qui bouge...

« Passe ton chemin, chevalier. Il n'y a rien à faire ici pour un chien errant empli d'honneurs et de principes, loin de ses troupes. C'est une affaire de chasseur. »

Le Chevalier d'Opale soupira. Il ne voulait en aucun cas s'attirer les foudres de cet homme qui n'était autre qu'un Elfe. Mais en lui, son honneur et sa conscience menaient une lutte sans merci. Il était bien capable de passer outre les menaces du chasseur et d'abattre violemment sa masse d'armes sur la tête du monstre. Mais sa propre conscience l'interdisait de faire cela. Et elle avait bien raison.

Pellinor regarda la créature presque agonisante. Un coup bien placé aurait eu raison d'elle. Il serait lâche de la part d'un chevalier d'abattre cette créature et d'ainsi voler la proie du chasseur. Il n'allait pas finir le travail qu'un autre avait déjà commencé. Le chevalier s'était vite résigné.

« Sa tête m’appartient. Ne te risques à aucune folie … Il ne me sera pas gênant que d’apporter deux têtes au lieu d’une. »

Le chasseur le toisait désormais d'un regard des plus sérieux. Le choix était simple. Soit le chevalier abattait la créature et se risquait à affronter un Elfe bien trop fort pour lui, soit il rebroussait chemin et abandonnait sa « quête ». Le choix était vite fait.

Il balança sa vulgaire masse d'armes par terre. Un geste significatif qui n'avait pas besoin de paroles.

Le Chevalier d'Opale se retourna et continua sa route, passant entre deux arbres, enjambant des racines encombrantes, laissant derrière lui le chasseur et sa proie. En plus d'avoir été séparé de ses compagnons d'armes dans cette forêt, il s'était perdu et avait du faire face à un monstre, durant quelques instants. Venir en Astora avait été plus qu'une mauvaise idée...

Enfin, il entendit un hurlement. Un monstre hurlant à la mort. Certainement le volatile, abattu par l'Elfe. Pellinor ricana, en pensant que cet hurlement aurait peut-être été émis par lui-même, s'il avait décidé d'abattre la créature de ses propres mains.

Un autre hurlement se fit entendre dans la forêt d'Astora. Le chevalier s'arrêta momentanément afin d'inspecter les environs. Il s'en voulait désormais d'avoir abandonné sa masse d'armes derrière lui. Un second hurlement se fit entendre. Puis un troisième. À chaque fois, ils se rapprochaient de lui. Les secondes passaient et le chevalier se laissait de plus en plus submerger par la peur. « Voyons, est-ce une attitude digne d'un chevalier ? » se disait-il d'une petite voix.

Sans armes, perdu au milieu de la forêt, il n'avait aucune chance face à une éventuel monstre. Puis, enfin, il les vit. Des yeux rouges se dessinant dans l'obscurité. Aucun doute. Le monstre qui l'avait auparavant attaqué n'était pas un vulgaire volatile, mais bien ce qui semblait être un imposant taureau armé d'une hache. Le choix était vite fait.

Messire Pellinor s'était mis à courir. Courir pour sa vie.